mardi 19 mars 2013

Pour Maurice Breschand


Qui sont-ils ? Des comédiens, des amis. Ils posent, se reposent, discutent, se regardent. Parfois, ils nous regardent. Ils nous regardent les regarder. Et pourtant ils jouent un rôle. Ce sont des personnages qui viennent d'Homère, de l'Ancien Testament, de Dante, de Crébillon. Mais parce qu'ils interprètent des personnages de littérature, ce sont aussi des personnes. Des amis, des comédiens qui nous rapprochent du bruissement des histoires que les hommes se racontent entre eux. Toutes ces lectures se dotent d'une vie familière, mais conservent l'étrangeté du rêve. Un monde gravite à l'intérieur du cercle des connaissances, des proches qui endossent les récits, font tourner les rôles, entrent dans le rêve du peintre, en activent les jeux de signes, les libres associations.

Ils entraient dans son atelier et ressortaient insérés au milieu des tableaux en nous dévisageant, en miroir de notre regard, comme dans un film de Cocteau.

La peinture que nous regardons si peu en face en ce début de nouveau siècle, reste là, à nous hanter, avec ses personnages les yeux grands ouverts. Leurs rêves ont la force des couleurs, des passions indéchiffrables, incompréhensibles. De scènes recommencées en scènes réinventées, toutes ces femmes, tous ces hommes, tous ces personnages ne cessent de parler avec nous. On retrouve bien ici et là les mêmes fruits, la même table, les mêmes chaises en bois, mais ce n'est pas la même chanson, comme disait un cinéaste aimé. Le grand théâtre de la toile se déploient en loges, en paravents, en éventails qui diffractent l'histoire racontée sans chercher à la fixer. Ce sont des gestes esquissés, des épisodes suggérés, comme l'écho des images que nous formons en lisant, en nous parlant.

Ces tableaux sont là pour nous donner cette vie mouvante des images, ils nous regardent autant que nous les regardons et ils accompagnent les jours.



« Je peins mes natures mortes, ces natures mortes, pour mon cocher qui n’en veut pas, je les peins pour que les enfants sur les genoux de leurs grands-pères les regardent en mangeant leur soupe et en babillant. Je ne les peins pas pour l’orgueil de l’empereur d’Allemagne et la vanité des marchands de pétrole de Chicago. On donne dix mille francs d’une de ces cochonneries ; on ferait mieux de me donner un mur d’église, une salle d’hôpital ou de mairie, et de me dire : “Foutez-vous là… Peignez-nous un mariage, une convalescence, une belle moisson…” Alors, peut-être, je sortirais ce que j’ai dans le ventre, ce que je porte là depuis que je suis né, et ce serait de la peinture… »



Paul Cézanne, in Cézanne de Joachim Gasquet, 1921

Silvia Guerra, mars 2013


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